Tu viens de choisir ta voie à travers un métier, celui de sapeur-pompier. Tu as décidé de l’exercer à Paris. Tu as fait le choix le plus magnifique qu’il soit, mais aussi tu as fait tiens un état d’esprit issu d’une réputation solide bâtie par tes prédécesseurs, tous aussi enthousiastes que toi. Ils ont laissé leur jeunesse, quelquefois leur vie, pour qu’aujourd’hui tu sois fier de les rejoindre.
Ce prix qu’ils ont payé volontairement, c’est celui d’un métier pas comme les autres, exercé dans un contexte environnemental résolument hostile où l’Homme reste pourtant le premier centre d’intérêt. Il faut que tu sois fort moralement, peut-être plus que physiquement. Tu côtoieras un univers où il est malheureusement plus facile de sombrer que d’en sortir. Là est ton rôle essentiel dans la société.
L’image que tu véhiculeras est plus importante que tu ne peux l’imaginer. Ta fierté, pourtant légitime, ne concernera pas ta personne. Ta fierté, tu la savoureras tous les jours, si tu es capable de saisir les échanges humains opérés tout au long des diverses sorties de secours.
Comme tes anciens, l’immense plaisir, presque égoïste, d’être un pompier de Paris se manifeste par le port de l’uniforme. Cet uniforme que tu as rêvé d’endosser n’est pas une tenue de parade, c’est une tenue de travail. En tant que telle, elle est perçue, auprès de la population, comme le symbole du dernier recours. Tu as d’énormes devoirs envers ceux qui d’emblée te font confiance, même s’ils n’ont pas la bonne façon de te le montrer.
Tu as choisi l’aventure, une vie active, tu rêves toujours de situations périlleuses où tu es le héros qui se tire de toutes les situations, sauvant maintes gens et tu te rends compte que la réalité ne rejoint pas la fiction. La belle jeune fille que tu souhaites sauver en permanence prend plus souvent les traits d’une overdose ravageuse, d’une ivresse aiguë, d’une violence inouïe, d’une agression gratuite, d’une angoisse face à la solitude, d’une détresse cardiaque... Sois patient, fait ce que tu dois avec le même bonheur de te dire qu’en face ce n’est pas toi. Toi qui est rémunéré, formé, entouré, aimé, admiré, n’oublie pas que cette situation exceptionnelle peut, pour de multiples raisons, s’arrêter d’un coup ! Ne méprise pas la personne en situation de détresse pensant qu’elle l’a cherché ou qu’elle ne fait rien pour s’en sortir ; c’est notre mission et notre devoir d’homme que de l’aider, c’est pour cela que tu existes.
Tu veux être respecté et tu as raison, mais pour forcer le respect il faut que cette image véhiculée soit respectable. Lorsque tu descendras de ton engin, ce n’est pas un homme craint qui doit jaillir mais un homme attendu. La parole jointe à l’acte dès les premières secondes compteplus que la durée de l’intervention. L’image donnée aux « spectateurs », qui eux ont le temps critique d'observer, peut faire qu’ils seront sans pitié pour l’institution que tu représentes, et tous tes camarades seront mis dans le même sac. Cette image de marque du pompier de Paris doit être maintenue, il y va également de ta survie. Cette fierté qui t’a fait venir doit donner envie à tes successeurs.
Cette lettre qui t’est adressée par un homme qui a le même état d’esprit que toi n’a qu’un but : te mettre en garde contre toi-même. Reste tel que tu es au premier jour, le métier le mérite et les gens t’attendent. J’ai confiance en toi.
Adjudant-chef HAVARD Patrice (1968-2005)
Fait à Paris 17e en 2001